Pourquoi les productrices ont-elles besoin de se retrouver dans des espaces en non-mixité ?
Retour sur la conférence “Place des femmes en agriculture” organisée par le GAB 22 avec, pour invitée, Clémentine Comer, docteur en sociologie.
Pourquoi dans la profession agricole, depuis les années 60, il y a des groupes de femmes structurés ? Qui sont-elles ? Quelles revendications ont-elles portées et portent-elles aujourd’hui ? Clémentine Comer, docteure en sociologie, s’est posée ces questions et est venue nous présenter son travail de thèse qu’elle a mené pour y répondre. Entre 2011 et 2017, elle a réalisé une enquête biographique auprès d’une centaine de productrices en Bretagne participant à des groupes femmes.
Diversité des profils socio-démographiques des productrices et inégalités communes
Clémentine Comer a dressé des idéotypes, c’est-à-dire des profils types en fonction des parcours et du rapport au monde agricole. La diversité des profils des productrices et des systèmes de production cache des inégalités de genres structurelles.
On retrouve souvent des formes d’exploitation conjugal où se joue une reconnaissance plus difficile du travail des femmes, une division sexuée du travail qui se caractérise aussi par un travail plus morcelé pour les femmes et une charge mentale plus importante. Il y a un lien fort entre viabilité économique, temps de travail et division sexuée du travail. Clémentine Comer a aussi listé les difficultés auxquelles étaient davantage confronté les femmes dans leur parcours à l’installation.
L’évolution du mouvement des groupes de femmes et de leurs luttes
Les premiers groupes de femmes naissent sous l’égide de la JAC (Jeunesse agricole catholique). Dans les années 60, il n’y avait pas de statut agricole, on ne formait pas les femmes à devenir agricultrices mais à devenir des bonnes ménagères dans les écoles ménagères. Dans les années 70, ces groupes de « vulgarisation agricole féminin » perdurent, accompagnés par la Chambre d’agriculture ou la MSA. Ce sont des groupes cantonaux qui travaillent surtout sur la question de l’habitat, qui était encore intergénérationnelle, et qu’elles voulaient réaménager. Les groupes allaient, non pas au Salon de l’agriculture, mais au Salon des arts ménagers à Paris. L’agriculture elle n’est pas hermétique aux évolutions de la société, et dans les années 70 de gros bouleversements s’opèrent, comme par exemple la constitution du MLF (Mouvement de libération des femmes). La question de la reconnaissance du travail des femmes en agriculture va commencer à irriguer ces groupes agricoles féminins. Des commissions femmes se mettent en place dans tous les syndicats. Des femmes ont bataillé ardemment pour l’obtention d’un statut et de droit professionnel en propre dans les années 80. Le GAEC entre époux n’a été possible qu’en 2010. Autre combat également mis en avant lors de cette conférence : le congé maternité, mis en place en 1976 mais qui n’a proposé les mêmes droits que pour toutes les salariées qu’en 2019.
Un travail pour l’égalité qui se poursuit aujourd’hui, tout continuant de devoir défendre la légitimité et la validité de ce travail, régulièrement discrédité, en particulier sur l’organisation en non-mixité (mythe de l’égalité acquise, accusation de perpétuer une guerre des sexes).
Pour aller plus loin sur le sujet :
– BESSIÈRE Céline, GOLLAC Sibylle, “Des exploitations agricoles au travers de l’épreuve du divorce Rapports sociaux de classe et de sexe dans l’agriculture“, Sociétés contemporaines, 2014/4 N° 96, p.77-108.
– SAMAK Madlyne, ” Le prix du « retour » chez les agriculteurs « néo-ruraux ». Travail en couple et travail invisible des femmes”, Travail et Emploi, 2017/2, N°150, Pages 53 à 78
– GUÉRILLOT Alexandre. Le métier d’agricultrice bio Un nouveau rapport au travail ? Travail, genre et sociétés, 2021/1 n° 45, p.39-55
Publié le 10 octobre 2024